Michèle Gazier
À la question: "Comment construire l´Europe des cultures?", l ´écrivain hollandais Cees Nootebom répondait, dans les années 90, qu´au-delà des querelles des hommes et des frontières les personnages des grands romans européens avaient tissé entre eux des liens indestructibles. Ainsi Don Quichotte voisignait-il en bonne intelligence avec Gargantua, Robinson Crusoé, Simplicimus, Pinocchio, la Petite Sirène, et bien d´autres héros et héroïnes d´encre et de papier qui nous accompagnent et nous survivent depuis des siècles. Or c´est grâce aux traducteurs que les grands textes ont circulé si rapidement d´une langue à l´autre et réussi à imprégner les imaginaires auxquels ils se frottaient. La traduction est à la littérature ce que l´interprétation musicale est à la partition : une lecture. Et, comme telle, une forme de recréation.
Le plus souvent, le traducteur est aujourd´hui soupçonné d´infidélité. Les récentes et très dissemblables traductions en français de Kafka par Bernard Lortholary et Georges-Arthur Goldschmidt ont remis en cause celle, historique, d´Alexandre Vialatte, tandis que la nouvelle traduction de Dostoïevski par André Markowicz a suscité bien des polémiques. Méfiance des lecteurs ? Oui, mais c´est aussi une manifestation de l´esprit du temps et un phénomène de mode. Et comme chacun sait : la mode se démode. Ainsi parle-t-on du vieillissement d´une traduction comme si le texte original, lui, echappait aux outrages du temps.
Passeurs Culturels
Pour la littérature la plus actuelle, le rôle des traducteurs est fondamental. Plus que les éditeurs qui "porteront" les textes traduits, les traducteurs sont les têtes chercheuses les plus fiables et les vrais découvreurs. Sans leur curiosité, leur obstination, leur dévouement, la littérature serait orpheline et étroitement confinée à nos frontières.
Il faudrait citer ici une longue liste de noms à peine lus sur les quatrièmes de couverture des livres, souvent oubliés dans les comptes rendus de presse. Ces pacifiques soldats de l´ombre, dont le patronyme figure toujours en lettres minuscules, ne cessent d´enrichir notre patrimoine culturel. L´un des plus célèbres traducteurs découvreurs, aujourd´hui disparu et qui donne son nom à un prix de traduction, demeure Maurice-Edgar Coindreau. Ce jeune professeur d´espagnol envoyé comme lecteur aux États-Unis lit avec passion les nouveaux auteurs américains, dont un certain William Faulkner..., qu´il propose aux éditions Gallimard. Faulkner deviendra une référence pour toute une génération d´écrivains français.
Faire se rencontrer les pensées du Monde
Après une certaine frilosité dans les années 60, les éditeurs français sont réouverts aux imaginaires du monde. Désormais, la littérature étrangère est l´un des moteurs majeurs de l´édition hexagonale. On traduit tous azimuts, de toutes les langues. Soulignons, ici que les aides à la traduction apportées par le Centre Nationale du Livre (CNL) et le ministère des Affaires Étrangères ont favorisé cette découverte d´autres univers.
Bien avant que le terme de mondialisation ne voie le jour, la traduction s´employait discrètement à faire se rencontrer les imaginaires et les pensées du monde. Elle poursuit, aujourd´hui plus que jamais, ce rôle de passeur culturel. Comme le dieu Hermès de la mythologie grecque, elle est reine des carrefours.
Label France, 69 - primeiro trimestre 2008
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