François Taillandier
Mercredi.- En écoutant Frédéric Mitterrand à l’émission "L’Objet du Scandale", sur France 2, je me dis encore une fois que j’ai de la sympathie pour ce ministre imprévu, homme de grand talent et de grande culture, ça je le sais depuis longtemps. Mais alors pourquoi, quand il s’agit d’évoquer les initiatives qu’il a prises, ou qu’il s’apprête à prendre, parle-t-il de sa « shopping list » ? D’abord, je trouve que ces emprunts faciles à l’anglais sont mal venus dans la bouche d’un ministre de la République Française, surtout d’un ministre de la Culture, dont une des missions est de veiller à la vie de notre langue. En outre, c’est en l’occurrence une impropriété de terme, ce qui me paraît encore plus grave. Et ce n’est pas une faute d’inattention. Il l’a dit au moins deux fois. Non, non, M. le Ministre !
Jeudi.- J’ai grand hâte de me plonger dans le nouvel ouvrage collectif piloté par MM. Le Bris et Rouaud, intitulé "Je est un autre – Pour une Identité-Monde", dont je viens de lire la présentation sur le programme Gallimard. J’avais déjà été considérablement impressionné, il y a deux ans, par le manifeste "Pour une Littérature-Monde", lequel nous rappelait (les auteurs n’omettent pas de nous rappeler qu’ils le rappelaient ; c’est un deuxième avertissement) « que la littérature n’était pas compressible à l’intérieur de frontières ». Je dois dire que j’avais été bouleversé. Moi, pauvre aveugle, j’avais toujours pensé que la littérature était compressible à l’intérieur de frontières. Je compressais, je compressais ! A côté de moi, César lui-même (je parle de l’artiste compresseur) était un amateur ! Je me méfiais de Goethe comme de Borges ! Pas de chez nous, ceux-là ! Viennent manger le pain des Français ! Heureusement que cette courageuse escouade d’esprits hardis venait enfin me dessiller !
Eh bien ! Deux ans plus tard, les mêmes repartent au combat, avec d’autant plus de courage que « le débat, en France, se replie frileusement sur les contours d’une identité nationale ». Waouh ! Alors, ça, c’est envoyé. Et puis alors, original. « Le repli frileux ». Je n’avais jamais lu ça nulle part. On a raison de dire que les grands écrivains innovent dans la langue. Et du coup, on sent qu’on a affaire à de courageux résistants. (Il est vrai que les courageux résistants pullulent, dans ce pays. Il y en a jusqu’à Berlin. Mon ami Matthieu Jung, en référence à un film célèbre, les appelle « l’armée des nombreux ».)
Et par conséquent, nous autres, pauvres ahuris tout prêts à nous replier sur des contours (se replier sur des contours ! a-t-on idée !), nous voilà invités à nous transformer en « millefeuilles ». Car « chaque être est un millefeuille », dans « une époque de fantastiques télescopages culturels », et « un monde nouveau où chacun, au carrefour d’identités multiples, se trouve mis en demeure d’inventer pour lui-même une identité-monde ».
Là, j’avoue attendre le livre avec impatience, car à vrai dire, j’ai beau tourner ce paragraphe dans tous les sens, je ne parviens pas à me figurer très concrètement le sort de ces malheureux millefeuilles confrontés à des télescopages au milieu des carrefours, et qui doivent s’inventer une identité au lieu de se compresser dans des contours frileux. Heureusement, « les romanciers qui ont appris à composer avec toutes ces voix de l’intérieur » (bref, les vrais, les bons, ceux qui sont dans l’ouvrage collectif) « ont leur mot – poétique – à dire ». Ah, c’est ça : ça doit être de la poésie. J’ai décidément beaucoup de progrès à faire.
Samedi. - Je lis dans Livres-Hebdo que le Centre National du Livre (CNL) a commandé à Ipsos MediaCT une étude sur “les publics du livre numérique”. Cette étude a prouvé que 5% des sondés ont déjà lu un livre numérique, et que 2% ne l’ont jamais fait mais se disent intéressés. On a également cerné des gens qui ne sont pas intéressés mais pourraient l’être. Coût de l’opération pour en arriver là : 180 000 euros (source : Livres Hebdo). Franchement, j’aurais pu à vue de nez leur dire la même chose, moi, au CNL, et pour moins cher. Allez, je ne sais pas me vendre.
Quant à l’entreprise Ipsos MediaCT, elle affiche sur le web la devise que voici : Nobody’s unpredictable. Devise non seulement en anglais, mais parfaitement glaçante, si on regarde ce qu’elle veut dire. Le CNL ne s’en est pas ému ? Et vous, M. le Ministre ?
Jeudi.- J’ai grand hâte de me plonger dans le nouvel ouvrage collectif piloté par MM. Le Bris et Rouaud, intitulé "Je est un autre – Pour une Identité-Monde", dont je viens de lire la présentation sur le programme Gallimard. J’avais déjà été considérablement impressionné, il y a deux ans, par le manifeste "Pour une Littérature-Monde", lequel nous rappelait (les auteurs n’omettent pas de nous rappeler qu’ils le rappelaient ; c’est un deuxième avertissement) « que la littérature n’était pas compressible à l’intérieur de frontières ». Je dois dire que j’avais été bouleversé. Moi, pauvre aveugle, j’avais toujours pensé que la littérature était compressible à l’intérieur de frontières. Je compressais, je compressais ! A côté de moi, César lui-même (je parle de l’artiste compresseur) était un amateur ! Je me méfiais de Goethe comme de Borges ! Pas de chez nous, ceux-là ! Viennent manger le pain des Français ! Heureusement que cette courageuse escouade d’esprits hardis venait enfin me dessiller !
Eh bien ! Deux ans plus tard, les mêmes repartent au combat, avec d’autant plus de courage que « le débat, en France, se replie frileusement sur les contours d’une identité nationale ». Waouh ! Alors, ça, c’est envoyé. Et puis alors, original. « Le repli frileux ». Je n’avais jamais lu ça nulle part. On a raison de dire que les grands écrivains innovent dans la langue. Et du coup, on sent qu’on a affaire à de courageux résistants. (Il est vrai que les courageux résistants pullulent, dans ce pays. Il y en a jusqu’à Berlin. Mon ami Matthieu Jung, en référence à un film célèbre, les appelle « l’armée des nombreux ».)
Et par conséquent, nous autres, pauvres ahuris tout prêts à nous replier sur des contours (se replier sur des contours ! a-t-on idée !), nous voilà invités à nous transformer en « millefeuilles ». Car « chaque être est un millefeuille », dans « une époque de fantastiques télescopages culturels », et « un monde nouveau où chacun, au carrefour d’identités multiples, se trouve mis en demeure d’inventer pour lui-même une identité-monde ».
Là, j’avoue attendre le livre avec impatience, car à vrai dire, j’ai beau tourner ce paragraphe dans tous les sens, je ne parviens pas à me figurer très concrètement le sort de ces malheureux millefeuilles confrontés à des télescopages au milieu des carrefours, et qui doivent s’inventer une identité au lieu de se compresser dans des contours frileux. Heureusement, « les romanciers qui ont appris à composer avec toutes ces voix de l’intérieur » (bref, les vrais, les bons, ceux qui sont dans l’ouvrage collectif) « ont leur mot – poétique – à dire ». Ah, c’est ça : ça doit être de la poésie. J’ai décidément beaucoup de progrès à faire.
Samedi. - Je lis dans Livres-Hebdo que le Centre National du Livre (CNL) a commandé à Ipsos MediaCT une étude sur “les publics du livre numérique”. Cette étude a prouvé que 5% des sondés ont déjà lu un livre numérique, et que 2% ne l’ont jamais fait mais se disent intéressés. On a également cerné des gens qui ne sont pas intéressés mais pourraient l’être. Coût de l’opération pour en arriver là : 180 000 euros (source : Livres Hebdo). Franchement, j’aurais pu à vue de nez leur dire la même chose, moi, au CNL, et pour moins cher. Allez, je ne sais pas me vendre.
Quant à l’entreprise Ipsos MediaCT, elle affiche sur le web la devise que voici : Nobody’s unpredictable. Devise non seulement en anglais, mais parfaitement glaçante, si on regarde ce qu’elle veut dire. Le CNL ne s’en est pas ému ? Et vous, M. le Ministre ?
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