terça-feira, 1 de junho de 2010

Une Langue à peine bonne pour la seconde division

Andrew Roberts


Pour l´association Avenir de la Langue Française (ALF), l´invasion de mots anglais est une plus grande menace pour l´identité nationale que l´obligation de parler l´allemand pendant l´occupation nazie. Dans des articles publiés en début d´année dans Le Monde et L´Humanité, un collectif d´associations, dont l´ALF fait partie, a lancé un appel au gouvernement Sarkozy pour qu´il endigue le déferlement de la langue anglaise. "Il y a plus de mots anglais sur les murs de Paris qu´il n´y avait de mots allemands sous l´Occupation", met en garde le collectif [reprenant une formule de Michel Serres]. Passons sur l´incroyable vulgarité qui consiste à mettre la langue de ses alliés de l´OTAN sur le même plan que celle de son ancien occupant nazi. Jusqu´à quel point la crainte de l´ALF est-elle fondée ? Alors même que le président français ne parle pratiquement pas l´anglais - j´ai eu l´occasion de m´en rendre compte lors d´une pénible conversation avec lui sur la bataille de Waterloo -, ce collectif accuse Nicolas Sarkozy de vouloir faire de la France un pays bilingue. De fait, Sarkozy a découvert que l´anglais a depuis longtemps remplacé le français en tant que lingua franca du monde, mais il a eu la clairvoyance de l´accepter, dans l´intérêt à long terme de la France.


Les anglophones célèbrent cette année le bicentenaire du début du déclin de la suprématie du français. Quand, en 1810, l´armé du maréchal Masséna dut abandonner la ligne de Torres Vedras au duc de Wellington, la soif de conquête de Napoléon fut enfin jugulée. La riposte avait commencé et devait déboucher cinq ans plus tard sur la bataille de Waterloo et le Congrès de Vienne, où l´Angleterre s´empara de toutes les positions stratégiques dont elle avait besoin pour bâtir un empire mondial et exporter sa langue sur un cinquième de la surface du globe.

Aujourd´hui, l´anglais est devenu la langue dominante d´Internet, du contrôle du trafic aérien, de l´informatique et du commerce international. D´ici à 2030, il y aura davantage de Chinois parlant l´anglais que d´Américains à la surface du globe. En 2001, déjà, l´anglais était parlé par plus du tiers des 350 millions de citoyens de l´Union européenne, alors que, en dehors de l´Hexagone, le français l´était par moins d´une personne sur dix. Même dans des pays où la France a eu une forte influence - Maroc, Algérie, Syrie, Vietnam, Cambodge, Tchad et autres - l´anglais a gagné du terrain. La réponse traditionnelle de la France à cette "anglobalisation" linguistique a été de mettre sur pied une forme de protectionnisme juridique. En 1994, l´Assemblée nationale a voté la loi dite Toubon, qui stipule que "[le français] est la langue de l´enseignement, du travail, des échanges et des services publics. [...] Dans la désignation, l´offre, la présentation, le mode d´emploi ou d´utilisation, la description de l´étendue et des conditions de garantie d´un bien, d´un produit ou d´un service, ainsi que dans les factures et quittances, l´emploi de la langue française est obligatoire. Les mêmes dispositions s´appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle." Les 21 autres articles du texte sont tout aussi stricts. Cette loi a été utilisée pour faire plier des entreprises américaines et britaniques telles que Disney ou Body Shop, qui utilisait des étiquettes en anglais dans sa boutique des Champs-Elysées. Le même principe a ensuite été étendu au cyberespace, le gouvernement français ayant demandé à l´Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de réglementer le contenu linguistique d´Internet. L´association Avenir de la Langue Française est allée jusqu´à intenter un procès à l´Institut de technologie de Géorgie, au motif que le site Internet de son campus en Lorraine était rédigé en anglais, alors même que ses professeurs venaient d´Atlanta et que tous les étudiants devaient maîtriser l´anglais pour pouvoir s´inscrire aux cours, dispensés dans cette langue. En 2005, le Conseil supérieur de l´audiovisuel a demandé [en vain] aux chaînes de télévision de traduire en français les titres des émissions populaires et des dessins animés. De même, les radios françaises sont aujourd´hui censées diffuser 40 % de chansons francophones, mais, bien sûr, les entorses à la loi sont légion.

Dans deux siècles, il se pourrait que le français soit devenu une curiosité linguistique à protéger, un peu comme en Grande-Bretagne le cornique ou le mannois [langues celtiques autrefois respectivemente parlées en Cornouailles et sur l´Île de Man]. Mais, en attendant, les Français feraient bien de devenir bilingues s´ils ne veulent pas être laissés de côté sur le marché mondial, à crier leur indignation dans une langue comprise par un nombre toujours plus réduit de personnes.


Courrier International, 1018, pg. 37 (originalmente publicado em The Wall Street Journal)

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